Research| Volume 8(1), Article 8, 15 Apr 2025
Aristide Compaoré1,2,&, Wendlassida Brice Armel Ouédraogo3, Martial Touwendsida Nana1,2, Bruno Lalidia Ouoba2,4, Bérenger Kaboré5,6, Denis Yelbéogo5,6
1Direction de la Santé Animale, Ouagadougou, Burkina Faso, 2Ministère de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques, Ouagadougou, Burkina Faso, 3International Livestock Research Institute, Ouagadougou, Burkina Faso, 4Laboratoire Nationale d’Elevage, Ouagadougou, Burkina Faso, 5Programme de formation en épidémiologie de terrain, Ministère de la santé, Burkina Faso, 6African Field Epidemiology Network, Ouagadougou, Burkina Faso
Received: 29 May 2024, Accepted: 10 Jan 2025, Published: 15 Apr 2025
Domain: Field Epidemiology, Outbreak Investigation, Rabies Control
Mots clés: Rage, bovine, Loumbila, Burkina Faso
©Compaoré Aristide et al Journal of Interventional Epidemiology and Public Health (ISSN: 2664-2824). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Compaoré Aristide et al Investigation d’un cas de rage bovine dans une ferme à Loumbila, Burkina Faso, mai 2022. Journal of Interventional Epidemiology and Public Health. 2025;8(1):8. https://doi.org/10.37432/jieph.supp.2025.8.2.12.10
Introduction: La rage est une zoonose prioritaire au Burkina Faso. De 2015 à 2019, 891 cas de rage animale ont été́ enregistrés avec une prédominance chez les chiens et chats. Le service de surveillance a été́ informé par un responsable de ferme à Loumbila, le 16 mai 2022, de la présence d’un animal agressif avec hypersialorrhée. Nous avons investigué pour rechercher la cause et mettre en place des mesures de riposte.
Méthodes: L’étude s’est déroulée à Loumbila, du 17 au 10 juin 2022. Tout animal présentant une hypersalivation, agressivité́ et inappétence a été́ considéré́ comme cas suspect de rage. Un questionnaire semi-structuré nous a permis de recueillir les informations cliniques, démographiques sur l’animal. Nous avons prélevé́ la tête du cas suspect pour confirmation au laboratoire. Une recherche des cas a été́ également faite aux alentours de la ferme.
Résultats: Sur 303 animaux, aucun animal n’était à jour de la vaccination antirabique. Le cas suspect était une vache Gudali de 14ans mordue par un chien errant au pâturage. Les symptômes observés étaient une hydrophobie, inappétence et paralysie. L’échantillon prélevé s’est révélé positif à la rage. Nous avons mis en observation les autres animaux puis recommandé leur vaccination. Les éleveurs et leurs familles ont été sensibilisés. Aucun cas supplémentaire n’a été détecté dans la ferme et lors de la sortie dans la localité.
Conclusion: L’investigation a confirmé l’épidémie de rage. Ces résultats interpellent au renforcement des mesures contre la rage par la surveillance des animaux de fermes lors des sorties de pâturage.
English Abstract
Introduction: Rabies is a priority zoonosis in Burkina Faso. From 2015 to 2019, 891 cases of animal rabies were recorded, predominantly in dogs and cats. The surveillance service was informed by a farm manager in Loumbila, on May 16, 2022, of the presence of an aggressive animal with hypersialorrhea. We investigated to find the cause and put in place response measures.
Methods: The study took place in Loumbila, from June 17 to 10, 2022. Any animal presenting hypersalivation, aggressiveness and anorexia was considered a suspected case of rabies. A semi-structured questionnaire allowed us to collect clinical and demographic information on the animal. We took the head of the suspected case for laboratory confirmation. A search for cases was also carried out around the farm.
Result: Out of 303 animals, none was up to date with anti-rabies vaccination. The suspected case was a 14-year-old Gudali cow bitten by a stray dog in the pasture. The symptoms observed were hydrophobia, anorexia and paralysis. The sample taken tested positive for rabies. We observed the other animals and then recommended their vaccination. Breeders and their families were sensitized. No additional cases were detected on the farm and during the outing in the locality.
Conclusion: The investigation confirmed the rabies epidemic. These results call for strengthening measures against rabies by monitoring farm animals when leaving the pasture.
Keywords: Rabies, bovine, Loumbila, Burkina Faso
La rage est une anthropozoonose majeure due à un Lyssavirus de la famille des Rhabdoviridae et affecte les mammifères, mais aussi l’homme [1]. Elle se transmet par effraction de la peau par un objet souillé (griffure de chats, morsure de chien) [2]. Elle touche plus de 150 pays selon l’OMS en 2020, qui la classe comme étant la dixième pathologie mortelle au monde avec environ 60 000 décès humains par an [3]. Les chiens sont responsables de la transmission du virus dans 99 % des cas de rage humaine. Les enfants âgés de 5 à 14 ans sont les plus touchés [4].
Elle est la maladie la plus létale au monde car une fois déclarée elle conduit inéluctablement vers la mort.
L’Asie est le continent le plus touché avec environ 55% des cas de décès humain, suivi de l’Afrique avec 44% [5,6]. Chaque année au Burkina Faso, plusieurs cas de rage animale et humaine sont déclarés [7,8]. L’espèce canine est la plus suspectée à 90% des 1352 échantillons animaux suspects de rage transmis au laboratoire national d’élevage du Burkina de 2008 à 2012 avec un taux de positivité à la rage de 89,8% [9]. Le pays a rapporté en 2020 et 2021 respectivement 25 et 57 cas de rage humaine [10].
Des mesures telles que les sensibilisations et les campagnes nationales annuelles de vaccination contre la rage sont faites pour lutter contre la maladie, mais celle-ci continuent d’affecter les populations.
Les carnivores domestiques sont les plus atteints par cette maladie [7,8]. Notons toutefois que tous les animaux à sang chaud sont sensibles à la rage.
Le 16 mai 2022, les services vétérinaires ont été notifiés d’un cas atypique de changement de comportement sur une vache par le chef d’antenne d’une ferme. C’est ainsi que l’investigation sur le cas suspect de rage bovine à Loumbila en mai 2022 a été menée. Il s’agissait spécifiquement de décrire le cas suspect de rage bovine, confirmer la rage bovine, rechercher d’éventuels cas humain et animal supplémentaires, de décrire les principaux facteurs de propagation de la maladie dans la localité et de mettre en place les mesures de prévention et de contrôle.
Cadre de l’étude
L’investigation s’est déroulée dans la ferme, mais aussi aux alentours de la ferme. Les alentours de la ferme étaient constitués d’un campement de personnes déplacées. La ferme était située à Loumbila, commune rurale de la province de l’Oubritenga, région du Plateau central (Figure 1). Cette commune constitue un important site d’activité pastorale [11]. L’exploitation était une ferme mixte semi-moderne à prédominance bovine. Cette exploitation est spécialisée dans la vente de jeunes animaux et de lait de vache, mais aussi dans l’amélioration génétique des animaux de rente.
Type et période d’étude
Elle s’est déroulée du 17 mai au 10 juin 2022 et était une étude de cas.
Equipe d’investigation
L’équipe d’investigation était constituée de deux vétérinaires, d’un technicien de laboratoire et d’un chauffeur.
Population d’étude et définition de cas
La population d’étude était composée des animaux à sang chaud de la ferme et de ses alentours. Des définitions opérationnelles de cas animales ont été établies :
Cas suspect: Tout animal à sang chaud présentant une hyper salivation, une agressivité et une inappétence du 17 mai au 10 juin 2022 sur la ferme et ses alentours à Loumbila.
Cas probable: Tout animal ayant eu un contact avec un cas avéré de rage du 26 avril au 10 juin 2022 sur la ferme et ses alentours à Loumbila.
Cas confirmé : Tout animal de la ferme à Loumbila dont le virus rabique a été mis en évidence entre le 17 mai au 10 juin 2022.
L’enquête a concerné le personnel de la ferme et des alentours.
Echantillonnage
L’échantillon d’étude a concerné les animaux répondant aux définitions de cas suspect et confirmé. Ainsi, seul un bovin a constitué l’échantillon.
Quant à l’enquête complémentaire, 13 personnes ont été rencontrées.
Taille de l’échantillon
La taille de l’échantillon était de 1 à savoir le cas suspect de rage.
Collecte des données
Les investigations ont été effectuées en 2 étapes.
Investigation primaire
La collecte de données s’est faite par entretien individuel auprès des travailleurs de la ferme à partir d’un questionnaire sur support physique.
Enquête complémentaire
Une enquête complémentaire a été faite afin de rechercher d’éventuels nouveaux cas dans la ferme et d’apprécier de facteurs locaux d’exposition à la rage. Pour ce faire, une autre fiche d’enquête a été élaborée sur les principaux signes cliniques et sur l’historique des cas de rage déjà rencontrés dans ladite localité et sur l’état de santé du personnel de la ferme. La collecte des données a été faite à la fois par observation visuelle, par entretiens groupés des habitants de la localité et par vérification des carnets de vaccination des chiens.
Procédure de laboratoire
Le prélèvement était la tête de l’animal qui a été conservé dans une glacière contenant des Ice pack, et conduit au Laboratoire National d’Elevage où l’analyse effectuée était un frottis de corne d’Amon et coloration au bleu d’Evans. Après coloration, une observation du frottis a été effectuée au microscope à immunofluorescence.
Gestion et analyse des données
Les données ont été saisies sur Microsoft Excel 2023 et analysées sur le logiciel Epi info 7.2.5.0 pour le calcul des fréquences. Le logiciel QGIS 3.22.5 a été utilisé pour la réalisation de la carte d’étude. Les données relatives à l’anamnèse, aux commémoratifs du cas et aux mesures mises en œuvre dans le foyer ont été présentées.
Considération éthique
Les données personnelles des enquêtés et de la ferme ont été codifiées et un accord oral a été obtenu sur l’utilisation des images et de leur participation aux enquêtes. Des autorisations du directeur de la santé animale du Burkina et du responsable de la ferme ont été obtenues pour la réalisation de l’étude.
Description de la ferme
La ferme comptait 113 bovins, 73 ovins, 115 caprins et 2 chiens. Sa gestion était assurée par sept personnes. La majorité des bovins (n=96) étaient conduits au pâturage en journée et ramené les soirs dans un parc ou une complémentation alimentaire leur était apportée et le reste (n=17) était en stabulation permanente.
Description du cas suspect
L’animal malade était une vache gestante de race Gudali à la robe grise âgée d’environ 14 ans. Cliniquement, elle présentait une hypersalivation, une hyperhémie conjonctivale des deux yeux, une agitation intense, une perte d’appétit, une léthargie, un refus de boire et des grognements. La vache présentait également une forte agressivité envers les autres animaux et le personnel de la ferme, mais aucun animal ni le personnel n’a été agressé par l’animal. Une blessure a été en phase de cicatrisation a été observé sur la cuisse de la vache. A la suite s’en est suivi une paralysie (couchée en décubitus latéral droit, incapable de se relever). Les symptômes n’ont été observés que sur cette vache.
A la vue de la symptomatologie décrite, la rage a alors été suspectée.
Confirmation de la rage bovine
L’observation au microscope à immunofluorescence du frottis a révélé des corps éosinophiles denses de coloration verdâtre, nettement délimités, denses et caractéristiques. Ces inclusions sont des corps de Negri, critères pathognomoniques de la rage.
Recherche d’éventuels cas supplémentaires et appréciation des facteurs d’exposition
Aucun cas supplémentaire humain ou animal n’a été détecté sur la ferme et dans les environnants durant la période d’étude.
Principaux facteurs de propagation de la rage dans la localité
L’enquête complémentaire a concerné 13 personnes, dont 03 propriétaires de chiens. Cependant, bien que 100 % des propriétaires de chiens affirment avoir déjà vu un cas de rage, seul un propriétaire de chien a fait vacciner son animal contre la rage. Notons également la fréquentation de la ferme par des chiens et les chats errants. Tous les enquêtés (100%) connaissent la rage car l’ayant vue plusieurs fois sur les chèvres après morsure par des chiens errants. Les principaux signes rapportés sont l’hypersalivation, l’agressivité et la mort de l’animal. Les habitants du campement ne possèdent aucun chien ni chat.
Les animaux de ce campement sont souvent attaqués par des chiens errants et semi-errants dans les pâturages et leur enclos. La période intense d’agressions par des chiens a été rapportée en début de saison des pluies de juin à juillet.
Application de mesures de prévention et de contrôle
Les mesures prises à la ferme étaient :
• la sensibilisation des 05 personnes ayant été en contact avec l’animal atteint à se faire consulter médicalement ;
• le recouvrement de terre sur le lieu de saignée de l’animal et la désinfection du lieu avec de l’eau de Javel;
• le suivi rapproché des animaux de la ferme ;
• la désinfection des mains du personnel qui a manipulé la carcasse ;
• Le nettoyage et la désinfection du matériel utilisé pour saigner les animaux ;
• la sensibilisation des 13 personnes interviewées sur la rage et sur l’importance de la vaccination antirabique.
La rage bovine est une maladie très rare au Burkina Faso. En effet, de 2001 à 2013, aucun cas de rage bovine n’a été détecté au laboratoire national d’élevage [12]. Toutefois, des enzooties de rage ont été observées sur le bétail au Congo et Rwanda en 1953 dû à des morsures de chiens errants et de chacal [13].
Les symptômes observés sur la vache atteinte de rage pourraient s’expliquer par le fait que le virus de la rage est neurotrope. Ces symptômes sont semblables à ceux notifiés par Aubry et Gauzere en 2020 [1] et Hadad en 2016 [2] sur la rage de manière générale et sur la rage bovine par Gavière [14].
La bave de l’hypersalivation des bovins constitue le principal risque dans ce type de rage [15] car elle constitue le liquide biologique le plus infecté et à même d’être source de contamination.
La confirmation a été faite au laboratoire par immunofluorescence directe. Cette méthode d’analyse est classée parmi celles standard de confirmation de rage [16].
La connaissance sur la rage animale étant de 100% dans cette étude pourrait s’expliquer par le fait que toutes les personnes enquêtées ont déjà vu un cas de rage animale et/ou humaine ; cela corrobore à l’étude menée par Savadogo [¬12] en 2020 qui a trouvé un taux de connaissance de la rage animale de 94,6%.
La forte errance des animaux aux périodes de début de pluie (mai-juillet) signifiée par les riverains du pâturage pourrait s’expliquer par la période de rut des chiennes. En effet, lors des périodes de chaleur, les chiens ont tendance à se regrouper autour des chiennes et se battent, créant des occasions de transmission de la rage concordant avec les études de Jansens et Mortelmans en 1964.
Il s’agissait d’une vache gestante de race Gudali à la robe grise âgée d’environ 14 ans et présentant des signe et symptôme en faveur de la rage. Aucun autre cas suspect de rage (humain ou animal) n’a été détecté durant le suivi. Les chiens errants, réguliers dans la ferme, pourraient être la cause du cas observé au sein de la ferme. La présence des chiens non vaccinés contre la rage constitue un risque de survenue de cas supplémentaires. Nous avons procédé à la sensibilisation des populations et instru d’autres mesures pour limité la propagation de la rage au sein de la ferme et environnant.
Recommandations
Nous avons recommandé au chef d’antenne de la ferme de notifier immédiatement les services vétérinaires en cas de nouveau cas suspect, de vacciner tous les agents et les chiens de la ferme contre la rage et tous les animaux sensibles et de clôturer le site d’élevage. Quant aux habitants environnant la ferme et le lieu de pâturage, nous les avons exhortés à contacter les services vétérinaires en cas de suspicion de rage sur des animaux et surtout à tenir à jour la vaccination contre la rage de leurs animaux de compagnie. Nos recommandations ont également été à l’endroit du chef de service épidémiologie et de la riposte des services vétérinaires pour le déroulement d’une campagne de vaccination et sensibilisation contre la rage dans les médias et dans les communes rurales en partenariat avec le One Health et les différents ministères impliqués.
Etat de la connaissance actuelle
• Cas récurrent de la rage au Burkina Faso, surtout dans la région du Centre Ouest
• Campagne régulière de vaccination des carnivores domestiques au Burkina
• Rage canine est la plus fréquente, mais la rage bovine est très rare et n’est pas documenté au Burkina Faso
Ce que cette étude apporte
• Première documentation sur la rage bovine au Burkina Faso
• Montre la présence de la rage dans la région du Plateau Central
• Sensibilisation des populations de la commune de Loumbila sur la rage
Nous sommes remercions le personnel de la ferme et des personnes environnantes qui ont pris part à cette investigation. Nous remercions le service épidémiologie de la Direction Générale des Services Vétérinaires par qui l’alerte a été reçue et a permis cette investigation. Nous remercions AFENET pour le soutien technique apporté.
Aristide Compaoré, Wendlassida Brice Armel Ouédraogo et Martial Touwendsida Nana ont développé le concept et les outils de recherche. Aristide Compaoré était responsable de la rédaction de la première version du document et de l’intégration des corrections. Bruno Lalidia Ouoba était responsable de l’analyse de laboratoire du prélèvement. Wendlassida Brice Armel Ouédraogo, Bérenger Kaboré et Denis Yelbéogo ont prodigué des conseils techniques et examiné les différentes versions du manuscrit. Aristide Compaoré a rédigé ce manuscrit.
Figure 1: Localisation de la ferme du bovin suspect de rage, Loumbila, Burkina Faso, mai 2022
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Figure 1 : Localisation de la ferme du bovin suspect de rage, Loumbila, Burkina Faso, mai 2022