Research | Open Access | Volume 8 (Suppl 11): Article 9 | Published: 20 Jun 2025
Ditorguéna Bassokla Wasungu1,&, Akawulu N’Djao2, Rebecca Kindé3, Logte Sanwogou4, Atèhèzi Adom5, Koffi Akolly6, Yendouban Douti5, Péléké Mawaba Hilim7
1Direction préfectorale de la santé de Tchamba, Togo, 2Direction Régionale de la santé, Région Centrale, Togo, 3Africa Field Epidemiology Network, Lome, Togo, 4Division de la surveillance intégrée des urgences sanitaires et la riposte, Togo, 5Centre de Formation et de Recherche en Santé Publique du Togo, 6Institut National d’Hygiène, Togo, 7Direction du district sanitaire de Tône, Togo
&Corresponding author: Ditorguéna Bassokla Wasungu, Direction préfectorale de la santé de Tchamba, Togo, BP 60, Tchamba, Togo. Email : jpwasungu@gmail.com, ORCID: https://orcid.org/0000-0002-2494-9443
Received: 05 Jan 2025, Accepted: 15 Jun 2025, Published: 20 Jun 2025
Domain: Mental Health
Keywords: détresse psychologique, facteurs associés, fonctionnaires, Kara
©Ditorguéna Bassokla Wasungu et al Journal of Interventional Epidemiology and Public Health (ISSN: 2664-2824). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Ditorguéna Bassokla Wasungu et al. Facteurs professionnels associés à la détresse psychologique chez les fonctionnaires reçus en médecine du travail dans la région de Kara au Togo de 2020 à 2023 . Journal of Interventional Epidemiology and Public Health. 2025;8(Suppl 14):9. https://doi.org/10.37432/JIEPH-D-25-00012
Contexte : La détresse psychologique au travail (DPT) constitue un problème majeur de santé publique mais méconnue. Selon l’OMS, un travailleur sur dix et une travailleuse sur cinq y seraient confrontés. Mais peu de données sont disponibles sur ce sujet au Togo. L’objectif de notre étude était d’estimer la prévalence de la DPT et identifier les facteurs professionnels qui y sont associés dans la région de Kara de 2020 à 2023.
Méthode : Il s’est agi d’une étude transversale analytique portant sur des données secondaires des cas reçus en médecine du travail de 2020 à 2023. Les dossiers médicaux de tous les fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail ont été examinés afin de recueillir des données sociodémographiques et cliniques. Par analyse de régression logistique multivariée, les facteurs associés à la DPT ont été identifiés.
Résultats : Au total 185 fonctionnaires ont été inclus dans notre étude avec un âge médian de 43 ans [IIQ : 36-48], une prédominance masculine (77,8%) et des enseignants (89,7%). La prévalence globale de la DPT était de 38,9% (IC95% [34,1 – 43,7]). Elle est passée de 72,7% en 2020 à 36,2% en 2023. Les facteurs indépendamment associés à la DPT étaient la charge de travail au-delà de 40 heures par semaine (OR =3,61 IC95% [1,34 – 10,2], p=0,013) la satisfaction par rapport à l’environnement de travail (OR=0,2 IC65% [0,07 – 0,48], p<0,001) et le stress professionnel (OR=15,2 IC95% [3,29 – 114], p=0,002).
Conclusion : Deux fonctionnaires sur cinq reçus en consultation de médecine du travail dans la région de la Kara sont affectés par la DPT, en majorité des enseignants de sexe masculin. Les facteurs professionnels qui y sont associés étaient la surcharge de travail, la satisfaction par rapport à l’environnement de travail et le stress professionnel. Pour y faire face, des mesures visant l’allègement de la charge de travail et la maitrise des facteurs de stress en milieu scolaire sont nécessaires.
English Abstract
Background: Psychological distress at work (PDW) is a major public health issue, but one that is not well understood. According to the WHO, one in ten male workers and one in five female workers are affected. However, little data is available on this subject in Togo. The objective of our study was to estimate the prevalence of PDW and identify the occupational factors associated with it in the Kara region from 2020 to 2023.
Methods: This was a cross-sectional analytical study using secondary data from cases received in occupational medicine from 2020 to 2023. The medical records of all civil servants seen in occupational medicine consultations were reviewed to collect sociodemographic and clinical data. Multivariate logistic regression analysis was used to identify factors associated with OWD.
Results: A total of 185 civil servants were included in our study, with a median age of 43 years [IIQ: 36-48], a predominance of males (77.8%) and teachers (89.7%). The overall prevalence of DPT was 38.9% (95% CI [34.1–43.7]). It decreased from 72.7% in 2020 to 36.2% in 2023. Factors independently associated with DPT were workload exceeding 40 hours per week (OR = 3.61, 95% CI [1.34–10.2], p = 0.013), satisfaction with the work environment (OR = 0.2, 65% CI [0.07 – 0.48], p<0.001) and occupational stress (OR=15.2 95% CI [3.29 – 114], p=0.002).
Conclusion: Two out of five civil servants seen in occupational health consultations in the Kara region are affected by DPT, the majority of whom are male teachers. The occupational factors associated with this were excessive workload, satisfaction with the working environment and occupational stress. To address this, measures aimed at reducing workload and controlling stress factors in schools are necessary.
Keywords: psychological distress, associated factors, civil servants, Kara
Les troubles de santé mentale au travail constituent un enjeu majeur de santé au travail avec des conséquences importantes en termes d’absentéisme et d’incapacités de travail [1–3]. Ces troubles trouvent leur origine dans les transformations organisationnelles induites par les nouvelles formes d’organisation du travails imposés par la recherche croissante d’une meilleure productivité afin de répondre aux exigences des clients [4–7]. Il existe dans la littérature un lien clairement établi entre la détresse psychologique (DPT) et les mauvaises conditions de travail [8–10], les injustices sociales et la détérioration de la santé mentale d’une part, les impacts économiques d’autres part sont clairement établis[5,6,11].
Au rang de ces troubles mentaux figure la détresse psychologique au travail, terme utilisé pour décrire des symptômes physiologiques et comportementaux non spécifiques à une pathologie donnée, tels que des réactions d’anxiété et de dépression, de l’irritabilité, une altération de la fonction cognitive, des troubles du sommeil et de l’absentéisme au travail [12–14]. D’autres chercheurs incluent des problèmes mentaux ou comportementaux spécifiques dans la détresse psychologique, tels que des diagnostics d’anxiété ou de dépression[15,16]. Dans le monde entier, on estime que la dépression et l’anxiété font perdre chaque année, 12 milliards de jours de travail, ce qui représente une perte de productivité de 1000 milliards de dollars par an [17].
Selon les données de l’Institut de veille sanitaire en France, 480 000 personnes seraient en détresse psychologique au travail et le burn-out en concernerait 7%, soit 30 000 personnes sur le territoire français [18]. Une autre enquête réalisée au Québec rapporte qu’environ un travailleur sur dix et qu’une travailleuse sur cinq qui serait confronté à un niveau élevé de détresse psychologique [19,20].
En Afrique, les données rapportées dans la littérature font état de prévalence élevées de la détresse psychologique en milieu de travail [21–25]. Cette souffrance émotionnelle entretient un lien étroit avec les risques psychosociaux du travail (RPS), tels que des exigences psychologiques élevées, une faible autonomie décisionnelle, un faible soutien social des collègues et du supérieur, une faible reconnaissance au travail et le harcèlement psychologique [6,20,26,27]. Par ailleurs plusieurs études rapportent une association entre la détresse psychologique et les maladies chroniques telles que les troubles psychiatriques, les maladies cardiovasculaires, situation que nous rencontrons fréquemment dans le cadre de la surveillance de la santé des fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail. Bien que la détresse psychologique au travail soit une réalité en milieu de travail, très peu d’études sont disponibles sur ce sujet dans notre contexte [28–31].
Le but de notre étude était d’étudier les facteurs professionnels associés à la détresse psychologique au travail chez les fonctionnaires reçus en médecine du travail dans la région de Kara de 2020 à 2023.
Cadre d’étude
Cadre géographique et institutionnel
Notre travail a été réalisé dans le service de médecine du travail de la région de la Kara, situé à 420 Km de la capitale économique du pays. Le service de médecine du travail est composé d’un médecin du travail affecté depuis 2019 à la suite d’un concours et de deux secrétaires. Les prestations sont offertes essentiellement aux fonctionnaires conformément aux dispositions du statut général de la fonction publique qui stipule que tout fonctionnaire malade apporte la preuve de la constatation médicale et bénéficie soit d’un congé de maladie ou d’un aménagement de poste. Selon le rapport annuel non publié des activités 2021 du service de médecine du travail de la direction régionale de la santé de Kara, les fonctionnaires reçus au cours de la période d’étude en grande majorité des enseignants en provenance des différentes régions du pays étaient reçus en consultation soit sur leur propre initiative ou adressés par un spécialiste pour diverses incapacités de travail liées à des troubles psychiatriques, des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux ou de traumatismes. Face au constat de la fréquence élevée des pathologies chroniques reçues (accidents vasculaires cérébraux et troubles psychiatriques) dont certains facteurs associés sont professionnels tels que le stress, la charge de travail, le climat de travail, nous avons profité de leur demande initiale de congé ou d’aménagement de poste pour leur administrer un questionnaire portant sur la détresse psychologique de Kessler et sur l’évaluation du stress professionnel à l’aide du questionnaire validé de Karasek.
Mise en œuvre
Les consultations de médecine du travail sont réalisées par un médecin du travail suivant les différentes étapes de l’examen clinique avec un accent sur l’interrogatoire à la recherche des circonstances de survenue de la maladie, la recherche d’éventuelles facteurs professionnels, des antécédents médicaux et style de vie. L’accent est également mis sur la surveillance des facteurs psychosociaux au travail tels que le stress et la détresse psychologique.
Type et période d’étude
Il s’est agi d’une étude transversale analytique portant sur des données secondaires collectées auprès des fonctionnaires reçus en consultations de médecine du travail dans la région de Kara de 2020 à 2023. Elle s’est déroulée du 05 janvier au 10 février 2024.
Population d’étude et échantillonnage
La population d’étude a concerné les fonctionnaires enregistrés dans la base de données de consultations de médecine du travail du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2023. Nous avons collecté les données chez tous les fonctionnaires dont les dossiers étaient disponibles à la date d’enquête pour obtenir un échantillon de 185.
Critères d’inclusion
Lees fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail au cours de notre période d’étude et dont les dossiers médicaux sont disponibles avec les variables d’intérêt de notre étude ont été inclus.
Critères d’exclusion
Tout fonctionnaire qui n’a pas été consulté par un médecin de travail.
Définitions opératoires
La détresse psychologique : elle résulte d’un ensemble d’émotions négatives qui, lorsqu’elles sont vécues avec persistance chez un individu, peuvent entraîner des conséquences de santé importantes telles que la dépression et l’anxiété. Selon les critères établis par Kessler et col., et adoptés par d’autres instances dont Statistiques Canada en 2010, un score égal ou supérieur à 13 indique la présence d’une détresse psychologique sévère (aussi qualifiée d’élevée), entre huit et douze une détresse moyenne, et un score allant de zéro à sept traduit une détresse faible. Dans notre étude, la détresse psychologique évaluée à l’aide du questionnaire de Kessler était considérée comme présente pour un score supérieur ou égal à 8.
Le stress professionnel : Le stress professionnel ou « job strain » est la combinaison d’une faible latitude décisionnelle et d’une forte demande psychologique. Il a été évalué dans notre étude à l’aide du questionnaire de Karasek qui définit la présence d’un stress professionnel par score de latitude décisionnelle inférieur à 70 et celui de demandes psychologiques supérieur à 21).
Technique et outils de collecte des données
La technique de la revue documentaire a été utilisée pour la collecte des données. Les variables de l’étude étaient : les caractéristiques socio-professionnelles (âge, sexe, secteur d’activités, ancienneté dans la fonction, statut marital), la régularité des horaires de travail, le volume horaire hebdomadaire, la satisfaction salariale, la satisfaction par rapport à l’environnement de travail, la provenance, les données de l’évaluation de la détresse psychologique et du stress professionnel.
Nous avons constitué une base de données Excel à partir des données collectées à l’aide d’une grille d’extraction de données secondaires dans les dossiers médicaux.
Traitement des données et analyse statistique
Nous avons procédé à l’apurement de la base de données pour la débarrasser de toutes les données erronées. Nous avons procédé à la vérification de l’exhaustivité des enregistrements, recherché et supprimé les doublons, compléter les données manquantes en utilisant le registre de consultation ainsi que les dossiers médicaux, vérifier la cohérence des données. Certaines variables ont été recodées. L’analyse des données a été faite en deux phases, descriptive et analytique.
Phase descriptive: Les variables qualitatives ont été décrites par leurs proportions avec les intervalles de confiance à 95% ou leurs ratios. Les variables quantitatives ont été résumées par la médiane et l’Intervalle interquartile [IQ] et les variables qualitatives ont été synthétisées par leurs proportions et leurs intervalles de confiance à 95%. Les données ont été analysées à l’aide du logiciel statistique R 4.4.1.
Phase analytique: L’identification des facteurs associés à la détresse psychologique a conduit à la réalisation de la régression logistique (analyse bivariée et multivariée) sur les données complètes. Pour l’ajustement du modèle, les variables indépendantes associées à la détresse psychologique avec une p-value ≤ 0,20 ont été retenues. Une régression multivariée a été effectuée pour identifier les variables indépendantes associées à la détresse psychologique avec une p-value ≤ 0,05. Nous avons analysé les odds ratio avec leur IC à 95% ainsi que les p-value associées au seuil de significativité de 5%.
Considérations éthiques
Le protocole de l´étude a été soumis à la coordination du programme FETP du Togo pour validation. Nous avons obtenu une autorisation administrative de la direction régionale de la santé de Kara. L’accès à la base de données a été limité par un code secret et l’anonymat a été maintenu en utilisant des numéros d’identification au lieu du nom des cas inclus dans cette étude.
Description de la population d’étude
Au total 185 fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail dans la région de la Kara ont été inclus dans notre étude.
L’âge médian des fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail au cours de notre période était de 43 ans [IIQ=36-48 ans]. Le sexe ratio H/F était de 3,57. La population était constituée en majorité d’enseignants 89,7% (IC95% [84,4%-93,7%]), de sujets vivants en couple dans 83,8% (IC95% [77,7%-88,8%]) (Tableau 1).
Fréquence de la détresse psychologique
La détresse psychologique au travail était présente chez 38,9% (72/185) des fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail dans la région de la Kara de 2020 à 2023. Cette proportion est passée de 72,7% en 2020 à 36,2% en 2023 avec une différence de proportion statistiquement significative (p=0,020).. Elle était de 38,6% (64/166) parmi les fonctionnaires du secteur de l’éducation et 47,4% (9/19) parmi ceux du secteur de la santé et autres (Tableau 2).
Facteurs associés
En analyse bivariée, les variables ayant un p-value ≤ 20% étaient l’âge, le niveau d’étude, le statut marital, la charge de travail, l’environnement de travail et le stress professionnel (Tableau 3).
En analyse multivariée, la charge de travail au-delà de 40 heures par semaine (ORa = 3,61 IC 95% [1,34 -10,2], p=0,013), le stress professionnel (ORa = 15,2 IC 95% [3,29-114], p=0,002) et la satisfaction par rapport à l’environnement de travail (ORa = 0,2 IC 95% [0,07-0,48], p<0,001) étaient des facteurs professionnels associés à la détresse psychologique au travail ( Tableau 4).
En milieu de travail dans la région de la Kara, notre étude montre une fréquence élevée de la détresse psychologique au travail, environ 2 fonctionnaires sur cinq en souffrent. Des données similaires sont rapportées au Nigeria et en Tunisie [25,32,33]. Cette fréquence élevée pourrait s’expliquer en partie par le fait que les données ont été collectées au cours de la période de Covid19 dont les répercussions sur la santé mentale ont été largement documentées. Parmi les enseignants, ces niveaux élevés de détresse psychologique retrouvés sont similaires à ceux d’autres études menées à tous les niveaux de la pyramide d’enseignement [34–37] et s’expliquent par les fortes contraintes psychosociales fréquemment rencontrées dans ce secteur [22,34,38].
Parmi le personnel de santé la détresse psychologique au travail est autant plus accentuée tendant vers une personne sur deux. Le contexte de la pandémie en a contribué tant par la forte sollicitation physique et mentale des professionnels de santé que par la surcharge de travail [24,31,39].
Les facteurs professionnels associés à la détresse psychologique au travail chez les fonctionnaires étaient la charge de travail élevée, la satisfaction par rapport à l’environnement et conditions de travail et le stress professionnel.
Les fonctionnaires travaillant plus de 40 heures par semaines avaient 3,6 fois plus de chances de présenter une détresse psychologique au travail comparés à ceux qui travaillaient moins de 40 heures par semaine. Ceci concorde avec les résultats rapportés dans d’autres études et s’expliquerait par certaines conditions de travail particulières retrouvées dans l’enseignement telles que les heures formelles consacrées à l’enseignement en milieu scolaire et les différentes tâches associées (préparation des cours, correction des copies, remplissage des notes et bulletins) qui se déroulent bien souvent hors des horaires réglementaires de service. Ce conflit entre vie professionnelle et familiale aurait des répercussions sur la santé mentale des enseignants, ce qu’il conviendrait de prendre en compte dans la détermination du temps de travail et dans l’organisation du travail.
Le stress professionnel a été identifié comme facteur associé à la DPT chez les fonctionnaires reçus en consultation. Nos résultats sont similaires à ceux d’autres études [40–43]. Certains auteurs ont rapporté des prévalences élevées du stress professionnel chez les enseignants en côte d’Ivoire et parmi les facteurs décrits on notait, l’indiscipline et la non motivation des élèves, le comportement indélicat des élèves, les effectifs pléthoriques d’élèves par classe, la charge de travail importante, le manque de temps de détente et le faible contrôle sur les décisions [34,40]. D’autres auteurs ont tenté d’expliquer ces facteurs de stress comme étant plus en lien avec le rôle et les tâches que l’enseignant doit assumer tandis que d’autres incriminent plutôt l’environnement organisationnel du travail et aux objectifs pédagogiques assignés aux enseignants dans les établissements scolaires. Dans notre contexte, les facteurs de stress sont plus en rapport avec les fortes exigences psychologiques comme le fait de réguler les comportements des apprenants en classe, les efforts à déployer pour maintenir leur attention afin de pouvoir transmettre les savoirs, le fait de développer des stratégies pour éveiller leur curiosité et aussi maintenir un climat de cours convivial [44] ou encore à participer à leur socialisation [45]. C’est cet ensemble complexe de contraintes auxquelles doivent faire face les enseignants que Tardif et al [46] qualifie de caméléon professionnel pour illustrer les efforts que ce dernier doit assumer pour répondre à ces différents rôles notamment être tantôt psychologue, éducateur, parent, policier et confident.
Il faut aussi prendre en compte le fait qu’avec les avancées technologiques, l’information est devenue plus accessible au public scolaire qui parfois est plus informé que l’enseignant. Ce qui peut soumettre l’enseignant à une pression supplémentaire pour relever ce défi d’information [47]. Dès lors, faire face continuellement à ces différentes tâches peut créer chez ce dernier un sentiment de débordement et faire apparaitre des difficultés professionnelles [48]. Ces facteurs pourraient expliquer le stress perçu par le personnel du secteur de l’éducation dans notre contexte.
Il est important que pour prévenir une atteinte à la santé mentale des enseignants que des actions organisationnelles soient menées impliquant toutes les parties prenantes (enseignants, élèves, syndicats, administration).
La satisfaction par rapport à l’environnement et les conditions de travail était associée à un risque faible de développer une détresse psychologique. Des constats similaires ont été rapportés en Palestine par Pepe et al [49] et au Royaume Uni par Fuschia al [50]. La satisfaction au travail prend en compte une perception positive de l’environnement de travail telle que les relations de travail favorables, les attitudes positives qui influenceraient positivement la santé mentale des travailleurs en créant un sentiment de sécurité [49,50]. Par contre, certains facteurs comme l’insécurité ou précarité de l’emploi, les intimidations au travail seraient sources d’insatisfaction au travail et contribuer de ce fait à augmenter le risque de détresse psychologique [51] avec un impact négatif sur le niveau d’engagement et de productivité des travailleurs [52–54].
Dans notre étude, les fonctionnaires ont tous déclaré bénéficier d’un bon soutien social. Il est possible que ce soutien social perçu ait pu jouer un effet modérateur sur le niveau de détresse psychologique au travail [8,55,56].
Il a été rapporté que des relations sociales de qualité contribuent au développement d’un certain sentiment de sécurité et de solidarité de la part de l’environnement de travail chez l’enseignant [57,58]. Lorsque le soutien social fait défaut, des conflits s’élèvent, la communication se complique et l’enseignant se sent totalement isolé [59–61]. Cette situation est d’autant plus inconfortable qu’elle peut aboutir à l’installation progressive du stress professionnel [62,63]. La plupart des travaux développés dans le domaine de l’enseignement stipulent que les pressions liées aux caractéristiques du travail sont mises en cause dans les tensions psychologiques au travail [64].
Limites
Notre étude comme toute autre présente des limites. La fréquence retrouvée pourrait avoir été surestimée d’abord par le fait que les fonctionnaires reçus présentaient des pathologies affectant la qualité de vie qui puissent avoir des répercussions sur la santé mentale. D’autres part la pandémie au Covid19 pourrait aussi expliquer en partie les résultats obtenus.
Cette étude menée chez des fonctionnaires reçus en consultation de médecine du travail dans la région de la Kara en période post covid-19 montre une proportion élevée de la détresse psychologique au travail. Deux fonctionnaires sur cinq sont touchés. Les proportions les plus élevées ont été observées en 2020 et 2021.
La majorité des cas était des enseignants relativement âgés, vivant en couple, ayant une charge de travail hebdomadaire élevée avec une régularité des horaires de travail. Les facteurs professionnels associés à la détresse psychologique au travail étaient la surcharge de travail, le stress professionnel et la satisfaction par rapport à l’environnement de travail.
Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures visant la prévention sur le plan organisationnel prenant en compte l’allègement de la charge de travail, la promotion d’un bon cadre de vie et de travail et la maitrise des facteurs de stress sur les lieux de travail. Nous recommandons une étude pour identifier les facteurs associés à la détresse psychologique au travail en milieu scolaire.
Etat des connaissances actuelles sur le sujet
Contribution de notre étude à la connaissance
Les auteurs tiennent à remercier les institutions suivantes :
DBW, AN, YD et RK ont conçu la méthodologie de l’étude et les outils de collecte de données. DBW et AK ont collecté, nettoyé, analysé les données. KA et PMH ont procédé à une analyse statistique secondaire puis à la conception des tableaux et figures. DBW et AN ont développé le draft initial du manuscrit pour le contenu intellectuel. AA, JPS, KA, PMH RK ont révisé le manuscrit. Tous les auteurs ont approuvé le manuscrit final avant soumission.
Tranche d’âge (années) | Effectif | Pourcentage |
---|---|---|
< 30 | 16 | 8,6 |
30-40 | 61 | 33,0 |
40-49 | 71 | 38,4 |
≥ 50 | 37 | 20,0 |
Sexe | ||
Féminin | 41 | 22 |
Masculin | 144 | 78 |
Niveau de scolarisation | ||
Secondaire | 79 | 43 |
Universitaire | 106 | 57 |
Statut marital | ||
Vit en couple | 155 | 84 |
Vit seul (e) | 30 | 16 |
Secteur d’activités | ||
Education | 166 | 90 |
Santé et autres | 19 | 10 |
Ancienneté dans la profession (années) | ||
< 5 | 16 | 8,6 |
5-10 | 47 | 25,4 |
10-15 | 20 | 10,8 |
> 15 | 102 | 55,1 |
Charge de travail hebdomadaire (heures) | ||
≤ 40 | 83 | 45 |
> 40 | 102 | 55 |
Irrégularité des horaires de travail | ||
Non | 171 | 92 |
Oui | 14 | 8 |
Présence du stress professionnel | ||
Non | 142 | 77 |
Oui | 43 | 23 |
Pouvoir se confier à une personne de confiance | ||
Non | 50 | 27 |
Oui | 135 | 73 |
Années | Nombre de fonctionnaires | Nombre de détresse psychologique | Pourcentage |
---|---|---|---|
2020 | 11 | 8 | 72,7 |
2021 | 33 | 13 | 39,3 |
2022 | 47 | 17 | 36,1 |
2023 | 94 | 34 | 36,2 |
Total | 185 | 72 | 38,9 |
Facteurs | Oui (n=73) | Non (n=112) | ORb (IC 95%) | p-value |
---|---|---|---|---|
Sexe | ||||
Féminin (réf) | 16 (22,0) | 25 (22,0) | 1 | |
Masculin | 57 (78,0) | 87 (78,0) | 1,02 (0,51 – 2,11) | 0,562 |
Tranche d’âge (années) | ||||
< 30 ans (réf) | 8 (11,0) | 8 (7,1) | 1 | |
30-39 | 10 (14,0) | 51 (46) | 0,20 (0,06 – 0,64) | <0,01 |
40-49 | 35 (38,0) | 36 (32) | 0,97 (0,32 – 2,92) | 0,93 |
≥ 40 ans | 20 (27,0) | 17 (15) | 1,18 (0,36 – 3,86) | 0,8 |
Statut marital | ||||
Vit en couple (réf) | 90 (79,6) | 65 (90,3) | 1 | |
Vit seul | 23 (20,4) | 7 (9,7) | 0,41 (0,16 – 0,97) | 0,053 |
Niveau de scolarisation | ||||
Secondaire (réf) | 40 (55,0) | 39 (35,0) | 1 | |
Universitaire | 33 (45,0) | 73 (65,0) | 0,44 (0,24 – 0,8) | 0,008 |
Secteur d’activité | ||||
Éducation | 64 (87,7) | 102 (91,1) | 1 | |
Santé et autres | 9 (12,3) | 10 (8,9) | 1,43 (0,54 – 3,75) | 0,5 |
Ancienneté dans la fonction (années) | ||||
< 5 (réf) | 7 (9,6) | 9 (8,0) | 1 | |
5-10 | 17 (23,0) | 30 (27,0) | 0,73 (0,23 – 2,37) | 0,6 |
10-15 | 8 (11,0) | 12 (11,0) | 0,86 (0,22 – 3,29) | 0,8 |
> 15 | 41 (56,0) | 61 (54,0) | 0,86 (0,30 – 2,59) | 0,8 |
Charge de travail (heures) | ||||
≤ 40 (réf) | 21 (35,3) | 62 (74,7) | 1 | |
> 40 | 51 (50,0) | 51 (50,0) | 2,38 (1,30 – 4,43) | 0,005 |
Environnement de travail | ||||
Non satisfait (réf) | 34 (44,2) | 43 (55,8) | 1,45 (0,80 – 2,65) | 0,140 |
Satisfait | 38 (35,2) | 70 (64,8) | 1 | |
Type de pathologie présentée | ||||
Chronique (réf) | 93 (62,4) | 56 (37,6) | 1 | 0,28 |
Aiguë ou traumatismes | 20 (55,6) | 16 (44,4) | 1,37 (0,65 – 2,89) | 0,4 |
Stress professionnel | ||||
Non (réf) | 49 (34,3) | 94 (65,7) | 1 | |
Oui | 23 (54,8) | 19 (45,2) | 2,40 (1,20 – 4,85) | 0,014 |
Facteurs | ORa | IC 95% | p-value |
---|---|---|---|
Sexe | |||
Féminin (Ref) | 1 | — | |
Masculin | 0,19 | 0,05 – 0,64 | 0,01 |
Tranche d’âge (années) | |||
< 30 (Ref) | 1 | — | |
30-39 | 0,17 | 0,03 – 0,79 | 0,024 |
40-49 | 1,76 | 0,45 – 7,5 | 0,4 |
≥ 50 | 1,75 | 0,40 – 7,92 | 0,5 |
Niveau de scolarisation | |||
Secondaire (Ref) | 1,00 | — | |
Universitaire | 0,63 | 0,28 – 1,44 | 0,3 |
Secteur d’activités | |||
Éducation (Ref) | 1 | — | |
Santé et autres | 0,59 | 0,17 – 1,98 | 0,4 |
Ancienneté dans la fonction (années) | |||
< 5 (Ref) | 1 | ||
5-10 | 0,46 | 0,10 – 2,15 | 0,3 |
10-15 | 0,76 | 0,13 – 4,41 | 0,8 |
> 15 | 0,52 | 0,12 – 2,16 | 0,4 |
Charge de travail hebdomadaire (heures) | |||
≤ 40 (Ref) | 1 | — | |
> 40 | 3,61 | 1,34 – 10,2 | 0,013 |
Satisfaction par rapport à l’environnement de travail | |||
Insatisfait (Ref) | 1 | — | |
Satisfait | 0,2 | 0,07 – 0,48 | <0,001 |
Statut du stress professionnel | |||
Non (Ref) | 1 | — | |
Oui | 15,2 | 3,29 – 114 | 0,002 |
Menu, Tables and Figures
Tranche d’âge (années) | Effectif | Pourcentage |
---|---|---|
< 30 | 16 | 8,6 |
30-40 | 61 | 33,0 |
40-49 | 71 | 38,4 |
≥ 50 | 37 | 20,0 |
Sexe | ||
Féminin | 41 | 22 |
Masculin | 144 | 78 |
Niveau de scolarisation | ||
Secondaire | 79 | 43 |
Universitaire | 106 | 57 |
Statut marital | ||
Vit en couple | 155 | 84 |
Vit seul (e) | 30 | 16 |
Secteur d’activités | ||
Education | 166 | 90 |
Santé et autres | 19 | 10 |
Ancienneté dans la profession (années) | ||
< 5 | 16 | 8,6 |
5-10 | 47 | 25,4 |
10-15 | 20 | 10,8 |
> 15 | 102 | 55,1 |
Charge de travail hebdomadaire (heures) | ||
≤ 40 | 83 | 45 |
> 40 | 102 | 55 |
Irrégularité des horaires de travail | ||
Non | 171 | 92 |
Oui | 14 | 8 |
Présence du stress professionnel | ||
Non | 142 | 77 |
Oui | 43 | 23 |
Pouvoir se confier à une personne de confiance | ||
Non | 50 | 27 |
Oui | 135 | 73 |
Années | Nombre de fonctionnaires | Nombre de détresse psychologique | Pourcentage |
---|---|---|---|
2020 | 11 | 8 | 72,7 |
2021 | 33 | 13 | 39,3 |
2022 | 47 | 17 | 36,1 |
2023 | 94 | 34 | 36,2 |
Total | 185 | 72 | 38,9 |
Tableau 2: Répartition par année de la détresse psychologique au travail chez les fonctionnaires de la région de Kara reçus en consultation de médecine du travail de 2020 à 2023 (N=185)
Facteurs | Oui (n=73) | Non (n=112) | ORb (IC 95%) | p-value |
---|---|---|---|---|
Sexe | ||||
Féminin (réf) | 16 (22,0) | 25 (22,0) | 1 | |
Masculin | 57 (78,0) | 87 (78,0) | 1,02 (0,51 – 2,11) | 0,562 |
Tranche d’âge (années) | ||||
< 30 ans (réf) | 8 (11,0) | 8 (7,1) | 1 | |
30-39 | 10 (14,0) | 51 (46) | 0,20 (0,06 – 0,64) | <0,01 |
40-49 | 35 (38,0) | 36 (32) | 0,97 (0,32 – 2,92) | 0,93 |
≥ 40 ans | 20 (27,0) | 17 (15) | 1,18 (0,36 – 3,86) | 0,8 |
Statut marital | ||||
Vit en couple (réf) | 90 (79,6) | 65 (90,3) | 1 | |
Vit seul | 23 (20,4) | 7 (9,7) | 0,41 (0,16 – 0,97) | 0,053 |
Niveau de scolarisation | ||||
Secondaire (réf) | 40 (55,0) | 39 (35,0) | 1 | |
Universitaire | 33 (45,0) | 73 (65,0) | 0,44 (0,24 – 0,8) | 0,008 |
Secteur d’activité | ||||
Éducation | 64 (87,7) | 102 (91,1) | 1 | |
Santé et autres | 9 (12,3) | 10 (8,9) | 1,43 (0,54 – 3,75) | 0,5 |
Ancienneté dans la fonction (années) | ||||
< 5 (réf) | 7 (9,6) | 9 (8,0) | 1 | |
5-10 | 17 (23,0) | 30 (27,0) | 0,73 (0,23 – 2,37) | 0,6 |
10-15 | 8 (11,0) | 12 (11,0) | 0,86 (0,22 – 3,29) | 0,8 |
> 15 | 41 (56,0) | 61 (54,0) | 0,86 (0,30 – 2,59) | 0,8 |
Charge de travail (heures) | ||||
≤ 40 (réf) | 21 (35,3) | 62 (74,7) | 1 | |
> 40 | 51 (50,0) | 51 (50,0) | 2,38 (1,30 – 4,43) | 0,005 |
Environnement de travail | ||||
Non satisfait (réf) | 34 (44,2) | 43 (55,8) | 1,45 (0,80 – 2,65) | 0,140 |
Satisfait | 38 (35,2) | 70 (64,8) | 1 | |
Type de pathologie présentée | ||||
Chronique (réf) | 93 (62,4) | 56 (37,6) | 1 | 0,28 |
Aiguë ou traumatismes | 20 (55,6) | 16 (44,4) | 1,37 (0,65 – 2,89) | 0,4 |
Stress professionnel | ||||
Non (réf) | 49 (34,3) | 94 (65,7) | 1 | |
Oui | 23 (54,8) | 19 (45,2) | 2,40 (1,20 – 4,85) | 0,014 |
Facteurs | ORa | IC 95% | p-value |
---|---|---|---|
Sexe | |||
Féminin (Ref) | 1 | — | |
Masculin | 0,19 | 0,05 – 0,64 | 0,01 |
Tranche d’âge (années) | |||
< 30 (Ref) | 1 | — | |
30-39 | 0,17 | 0,03 – 0,79 | 0,024 |
40-49 | 1,76 | 0,45 – 7,5 | 0,4 |
≥ 50 | 1,75 | 0,40 – 7,92 | 0,5 |
Niveau de scolarisation | |||
Secondaire (Ref) | 1,00 | — | |
Universitaire | 0,63 | 0,28 – 1,44 | 0,3 |
Secteur d’activités | |||
Éducation (Ref) | 1 | — | |
Santé et autres | 0,59 | 0,17 – 1,98 | 0,4 |
Ancienneté dans la fonction (années) | |||
< 5 (Ref) | 1 | ||
5-10 | 0,46 | 0,10 – 2,15 | 0,3 |
10-15 | 0,76 | 0,13 – 4,41 | 0,8 |
> 15 | 0,52 | 0,12 – 2,16 | 0,4 |
Charge de travail hebdomadaire (heures) | |||
≤ 40 (Ref) | 1 | — | |
> 40 | 3,61 | 1,34 – 10,2 | 0,013 |
Satisfaction par rapport à l’environnement de travail | |||
Insatisfait (Ref) | 1 | — | |
Satisfait | 0,2 | 0,07 – 0,48 | <0,001 |
Statut du stress professionnel | |||
Non (Ref) | 1 | — | |
Oui | 15,2 | 3,29 – 114 | 0,002 |